Ted esquive habilement les météores de toutes tailles qui coupent sa trajectoire, tout en essayant de semer le pirate qui le poursuit.
Rien n’y fait, le vaisseau de la Vague Noire anticipe les évitements habituels et ce champ d’astéroïdes, bien que de densité moyenne, rend chaque manœuvre particulièrement risquée. C’est un peu comme danser la salsa sur un champ de mine avec comme partenaire un psychopathe armé.
Mais le navigateur commence à connaitre les subtilités du programme, droite, gauche, il évite les roches dangereuses en essayant d’attirer le pirate contre l’une d’elles. Après de longues minutes d’efforts et quelques collisions involontaires, il parvient enfin au but. Un long rocher en forme de cacahuète se dresse devant lui, il vise le centre avec son harpon laser et tir, séparant l’astéroïde en deux, tout en amorçant un roulis à quatre-vingt dix degrés pour passer tout juste entre les deux morceaux.
Le pirate tente de redresser mais trop tard, son aile droite est arrachée et le reste du vaisseau continu sa trajectoire rectiligne uniforme en tournant sur lui-même, jusqu'à rejoindre les autres corps inertes du champ d’astéroïdes.
Tout s’assombrit brusquement…
Traitement des données en cours....
Veuillez contacter votre instructeur de vol.
Le simulateur s’arrête et Ted s’extirpe hors du cockpit d’entrainement tandis que la formatrice du centre s’approche avec les résultats en main. C’est la troisième fois qu’il finit le cycle d’examen et il a rempli toutes les unités du cursus de base, ce qui signifie qu’il devrait enfin obtenir la certification.
«Et bien monsieur Duncan, c’était peu conventionnel sur la fin mais je crois que ça rentre dans les critères. » Dit-elle simplement en tamponnant quelques pages bien choisis du dossier avant de le remettre au navigateur.
« On ne devrait plus vous revoir dans le coin pendant un moment, je suppose. » Ajouta la formatrice avec un large sourire.
Ted sort du centre d’entrainement, s’étire et baille intensément, puis commence à se dégourdir les jambes en déambulant un peu dans les rues de Cosmoport qu’il connait si bien.
En escale prolongée dans sa station natale, il en profitait pour retrouver quelques vieux amis et d’anciennes habitudes. Au fond, il restait attaché à cet amoncellement désordonné d’unités habitables, fait de tubes illuminés et d'imposants blocs métalliques ajoutés au fur et à mesure du développement de la cité spatiale. Et bien qu’il préférait grandement voguer l’espace sidéral ces derniers temps, et qu’il pensait même ressentir les débuts d’un « mal de terre » à force de rester en station,il appréciait parfois cette douce nostalgie quand il retournait à Cosmoport et les séances d’entrainement étaient nécessaires s’il voulait s’améliorer encore et pouvoir piloter un meilleur vaisseau.
Son vieux X1 arrivait en fin de carrière, trop de bruits inquiétants pendant la dernière tempête de Vulcanus et il avait bien cru deux ou trois fois que son aileron arrière avait lâcher pendant les coups de vents les plus violents, heureusement qu’il connaissait déjà bien les courants fluidiques de ce secteur. Une fois rendu à Vulcania, il avait tenté de rafistoler au mieux, mais même avec de bons outils et des unitechs à foison Il avait du se rendre à l’évidence, la structure de l’engin ne pourrait plus supporter beaucoup de rafistolages.
Le navigateur tourne dans une ruelle à l’éclairage intermittent et entre dans une petite échoppe, un antiquaire qu’il connait bien. Il avait profité de son passage à Vulcania pour acheter quelques breloques qu’il comptait bien revendre à bon prix. La vitrine fumée derrière laquelle un rideau rougeâtre laisse à peine sortir une faible lumière colorée, empêche les passants de voir le détail du négoce, en couvrant ce commerce d’un soupçon de mystère.
Sa principale activité, avec les missions d’exploration de la guilde, la contrebande d’objet d’art et autres breloques lui assurait un complément de revenu appréciable. Ted avait appris quelques ficelles auprès de compagnons de bistrots afin de conserver les plus précieuses marchandises hors de la vue des pirates gourmands et des douaniers trop zélés, et ses excursions spatiales l’amenaient régulièrement dans des secteurs dangereux ou mal famés, attirant la curiosité des touristes qui arpentent les allées commerçantes des grandes station-cités.
Il rapportait de toutes ces destinations quelques objets exotiques qui, avec un peu d’emballage, passaient aussi bien pour des œuvres uniques que d’anciens artefacts, et son petit commerce allait florissant.
« Et ce ne sera pas de trop » se dit-il en arrivant sur le quai d’amarrage de la Fringante accompagné de son ami l’antiquaire. Le vaisseau fait grise mine après le mauvais temps de ces derniers jours et bien que les autres engins du garage ne soient pas tous neufs, le sien contraste ostensiblement par son délabrement avancé à coté des cargos marchants et des fiers chasseurs de la FIS. Rien de surprenant pour un navigateur chevronné ou un pirate des frontières, mais l’antiquaire ne peut cacher son étonnement, lui qui a rarement l’occasion de voir un vaisseau spatial d'aussi prés, ailleurs que dans les réclames publicitaires et autres films de propagande.
-C’est « ça » ton fameux bolide ? » Lâche-t-il blagueur.
« Un miracle que tu reviennes encore jusqu’ici dans un engin pareil…
- Ben, quand tu sais le manier, il fait le job. » Répond Ted en ouvrant la soute qui grince bruyamment.
-Si tu l’dit…» Ajoute l’antiquaire légèrement perplexe en inspectant de plus prés la coque externe cabossée, tandis que le navigateur lui tend deux petits objets emballés dans un tissus épais.
-Tu penseras quand même à t’acheter un truc plus récent avec ton bénéfice un de ses quartes, ces trucs là ça lâche toujours au mauvais moment, j’ai déjà perdu quelques fournisseurs…
-ah ça, j’y pense !
-Et ton vieux collier là, tu le vends aussi ? t’aurais surement de quoi te payer un joli bahut avec ce machin là.
-Laisse tomber Jean-seb’, on en a déjà parlé. » Répond Ted sans même relever la tête tandis que l’antiquaire transfert les crédits sur son compte.
-Comme tu voudras, mais je te souhaite pas de croiser un des tes « monstres de l’espace » avec ta carriole rouillée. » Le vieil homme part dans un fou rire gras en dévoilant une dentition éparse, alors que Ted dissimule une réelle appréhension derrière un sourit gêné.
Les moqueries de l’antiquaire n’étaient pas dénuées de sens, la Fringante était à bout de souffle, mais ses finances ne lui permettait pas encore d’envisager mieux, surtout qu’il faudrait garder un minimum de crédits pour les dépenses courantes et la continuité des ses petites affaires.
Il lui restait bien un stock de bibelots de Vulcanus mais ça ne se vendait plus à Sol en ce moment, les transporteurs de la guilde des marchants avaient saturé le marché en profitant du fret grandissant entre les deux secteurs et les boutiques de Venusopolis regorgeaient de produits vulcaniens. Ted savait pourtant où trouver preneur, mais il faudrait embarquer la Fringante pour une expédition derrière le réseau d’hyperantennes, un dernier voyage et il pourra s’offrir un vaisseau digne de ce nom, et tant pi s’il ne gagne pas asses pour le dernier modèle, un remplacement devenait urgent.
Il se prépare à prendre le large.
Les baleines demeuraient introuvables pour l’instant, peut être une histoire de saison galactique, et les migrations de ces animaux restaient un mystère pour les rares pilotes à connaitre leur existence. A dire vrai, Ted n’était pas trop sûr de vouloir en croiser cette fois-ci. Le rire de l’antiquaire résonnait encore dans les méandres de son esprit stigmatisé, sans doute la Fringante ne tiendrait pas longtemps un duel avec une de ses créatures stellaires. Il faudra jouer l’esquive rapide en cas de face-à-face, et se contenter d’une observation à distance.
Après tout, ce sera peut-être l’occasion d’expérimenter ces nouvelles techniques de pilotage qu’il venait d’apprendre.
Avant de partir, le navigateur visite une dernière fois les quartiers « chauds » de Cosmoport afin de se divertir un peu. Un rituel quasi médical qu’il s’imposait avant chaque expédition, il en profitait aussi pour entretenir ses différents contacts en ville. Il passe devant le bar sans y entrer et se dirige vers un salon de thé discret dans un bloc peu fréquenté. Devant la porte, un videur bien habillé semble le reconnaitre et lui ouvre, laissant à peine entrevoir l’ambiance embrumée qui règne à l’intérieur.